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vendredi, juin 26, 2009

HOMMAGE A BAMBI !



Britney est dévastée par le décès de Michael. Elle a communiqué sur son décès via ETonline.com


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J'étais trop excitée de voir son show à Londres. Nous devions être en Europe en même temps et je devais prendre un avion pour aller le voir. Il a été une inspiration durant toute ma vie et je suis dévastée par sa disparition.

micheal jackson est mort


Michael Jackson est mort
Le chanteur américain est mort d'un arrêt cardiaque, hier, à l'âge de 50 ans. Il avait été hospitalisé à Los Angeles dans l'après-midi.
Un site Internet spécialisé, TMZ.com, a annoncé la nouvelle, hier soir : Michael Jackson, est mort d'un arrêt cardiaque, à l'âge de 50 ans. Le chanteur a été victime d'une crise cardiaque et les services de secours ne sont pas parvenus à le réanimer.

Selon le Los Angeles Times, les pompiers ont répondu à un appel en provenance de son domicile, à 12 h 26 (19 h 26, en France). Le chanteur ne respirait plus quand ils sont arrivés, indique le journal, qui précise que le chanteur a été transporté à l'hôpital UCLA, où il est mort peu après.

Le décès du « Roi de la pop » intervient alors qu'il espérait faire son grand retour sur scène, cet été, à Londres. Après avoir virtuellement disparu depuis son acquittement, en 2005, dans un procès où il était accusé d'attouchements sexuels sur un adolescent ¯ l'affaire s'était réglée à l'amiable, contre 23,3 millions de dollars ¯ Michael Jackson était réapparu brièvement, en mars, pour annoncer une série d'une cinquantaine de concerts.

Connu dès l'âge de 10 ans

Lors d'une intervention brève et décousue devant la presse et des milliers de fans, le chanteur, arrivé en retard de plus d'une heure et demie sur l'horaire prévu, avait indiqué qu'il s'agirait de ses « derniers spectacles à Londres ». Mais fin mai, les organisateurs avaient annoncé que le lancement de la série de concerts avait été repoussé de quelques jours en juillet, assurant que cela n'avait « rien à voir » avec la santé de la star.

Doté d'une voix haut perchée reconnaissable entre toutes, danseur hors du commun, l'artiste était déjà reconnu alors qu'il n'avait pas 10 ans, au sein du groupe familial les Jackson Five, avant de passer progressivement au statut de star planétaire avec des tubes majeurs tels que Billie Jean (album Thriller, 1982). Mais, dès les années 1980, il montrait des signes physiques et comportementaux étranges et, au-delà du phénomène musical, devenait un phénomène tout court.

Contraint, en 2006, de restructurer une dette de quelque 170 millions de dollars, selon la presse américaine, en donnant à Sony une option d'achat sur la moitié de son prestigieux catalogue musical, Michael Jackson avait tout de même obtenu une petite victoire dans un océan d'ennuis financiers en obtenu l'annulation d'une vente de ses objets personnels, qui devait être organisée par la maison d'enchères Julien's, en Californie.

lundi, juin 22, 2009

JAI HO PCD

jeudi, juin 18, 2009

aqua - Back to the 80s - NEW OFFICIAL MUSIC VIDEO

cascada


voici la nouvelle chanson de cascada

evacuate the dancefloor:



samedi, juin 13, 2009

l'histoire de cupidon et psyché


Éros et Psyché.

Ou un vieux conte très moderne.



Texte intégral ( version d'apulé)



Il y avait dans une ville, un roi et une reine. Ce roi et cette reine avaient trois filles d’une beauté remarquable. Les aînées, toutefois, si agréables qu’elles fussent à voir, n’avaient rien, semble-t-il, qu’une louange humaine ne pût célébrer dignement. De la plus jeune, au contraire, si rare, si éclatante, était la perfection que, pour en donner une idée, pour en faire même un suffisant éloge, le langage humain était trop pauvre. A telles enseignes que, gens du pays ou étrangers, tous ceux que la renommée d'un spectacle aussi unique assemblait en foule, empressés et curieux, restaient stupides d'admiration pour cette beauté sans égale, et, portant leur main droite à leurs lèvres, l'index posé sur le pouce levé, ils lui prodiguaient dévotement les mêmes marques d'adoration qu'à la déesse Vénus en personne. Déjà dans les villes voisines et les contrées environnantes le bruit s'était répandu que la déesse née du sein azuré des mers et formée de la rosée des vagues écumantes daignait, à tout venant, rendre accessible sa puissance et se mêler parmi la société des hommes, à moins qu'une création nouvelle des gouttelettes célestes n'eût fait germer non plus des flots, mais de la terre, une autre Vénus, parée de sa fleur virginale.

C'est ainsi qu'à perte de vue la croyance, de jour en jour, gagne du terrain ; d'une île voisine à l'autre, puis, sur le continent, de province en province, la renommée s'étend et se propage. Et nombreux sont les mortels qu'au prix de grands voyages et de lointaines traversées voit affluer vers elle la glorieuse merveille du siècle. A Paphos, à Cnide, à Cythère même, aucun navigateur n'abordait pour contempler la déesse Vénus. Ses sacrifices sont délaissés, ses temples se vont dégradant, ses coussins sont foulés aux pieds, ses cérémonies sont négligées, ses images restent sans couronnes, et des cendres refroidies souillent ses autels désolés. C'est à la jeune fille qu'on adresse des prières, c'est sous les traits d'une mortelle qu'on implore la grâce de l'auguste divinité. Quand, au matin, apparaît la vierge, c'est de Vénus absente qu'on invoque le nom secourable en offrant victimes et festins, et quand elle traverse les places, le peuple se presse pour l'adorer avec des guirlandes et des fleurs.

Cet extravagant transfert des honneurs célestes au culte d'une mortelle enflamme d'une violente colère la véritable Vénus. Elle ne peut contenir son indignation ; elle secoue la tête en frémissant jusqu'au fond de son être et se tient à elle-même ce langage : « Ainsi, moi, mère antique de la nature, origine première des éléments, nourricière de l'univers, Vénus, on me réduit à cette condition de partager avec une mortelle les honneurs dus à ma majesté, et mon nom, consacré dans le ciel, est profané par le contact des souillures terrestres. Apparemment, il me faudra, dans l'équivoque communauté des hommages rendus à mon nom, voir l'adoration me confondre avec une remplaçante, et celle qui, partout, présentera mon image, c'est une fille promise à la mort. Ah! C'est en vain que ce berger, dont l'impartiale justice fut approuvée du grand Jupiter, m'a préférée, pour mes attraits sans pareils, aux plus éminentes déesses. Mais elle ne se réjouira pas longtemps, quelle qu'elle soit, d'avoir usurpé mes honneurs ; je saurai, de cette beauté même à laquelle elle n'a point droit, faire en sorte qu'elle se repente. »

Et elle appelle sur-le-champ son fils, l'enfant ailé, ce mauvais garnement qui, bravant par son inconduite la morale publique, armé de torches et de flèches, court çà et là la nuit dans les maisons des autres, brouille tous les ménages, commet impunément les pires scandales, bref ne fait jamais chose qui vaille. Et bien qu'effronté déjà par naturelle friponnerie, elle l'excite encore par ses discours, le conduit dans la ville dont nous avons parlé, présente à ses yeux Psyché - tel était le nom de la belle -, lui fait le récit de cette rivalité de beauté ; enfin, gémissante et frémissante d'indignation : « Je t'en conjure », dit-elle, « par les liens de l'amour maternel, par les douces blessures de tes flèches, par les délicieuses brûlures de la torche que tu portes, venge celle qui t'a donné le jour, mais venge-la pleinement, et, par le respect qui m'est dû, châtie cette beauté rebelle. Consens seulement - et cela seul me tiendra lieu de tout - à faire en sorte que cette vierge s'éprenne d'un ardent amour pour le dernier des hommes, un homme que, dans son rang, son patrimoine et sa personne même, la fortune ait maudit, si abject en un mot que, dans le monde entier, il ne trouve pas son pareil en misère. »

Elle dit et, les lèvres entr'ouvertes, elle baise son fils longuement, avidement ; puis, gagnant l'endroit le plus proche du rivage où meurt le flot, elle presse de ses pieds de rose la crête écumeuse des vagues qui miroitent, et bientôt la voilà qui se laisse porter sur la claire surface de la mer profonde. A peine a-t-elle eu le temps de vouloir, et, comme sur un ordre donné d'avance, sa suite marine s'empresse. Voici les filles de Nérée, chantant un chœur, et Portunus, tout hérissé d'une barbe bleuâtre, et Salacia, les plis de sa robe lourds de poissons, et Palémon, le petit aurige, conduisant un dauphin ; voici, bondissant çà et là sur la mer, les troupes des Tritons : l'un souffle doucement dans sa conque sonore, l'autre oppose un tissu de soie à la flamme d'un soleil importun ; celui-ci tient un miroir sous les yeux de la reine ; ceux-là nagent par couples attelés à son char. Telle est l'escorte qui accompagne Vénus dans sa course vers l'Océan.

Cependant, Psyché, avec tout l'éclat de la beauté qui est la sienne, ne tire nul avantage de ses charmes. Chacun la contemple, chacun la loue, mais personne, ni roi, ni prince, ni même, à défaut, homme du peuple, ne désire sa main ni ne se présente pour l'obtenir. On admire sans doute son aspect de déesse, mais c'est comme une statue d'un art sans défaut que tout le monde l'admire. Depuis longtemps ses deux aînées, dont la beauté moyenne n'a nulle part été proclamée par la rumeur publique, accordées à des prétendants royaux, ont fait de brillants mariages ; Psyché, vierge délaissée, reste dans sa maison à pleurer son abandon et sa solitude. Le corps dolent, le cœur meurtri, elle déteste en elle cette beauté dont s'enchantent des nations entières. Tant qu'enfin le triste père de l'infortunée jeune fille, soupçonnant quelque malédiction céleste et craignant d'avoir encouru la colère d'en haut, interroge l'antique oracle du dieu de Milet, offre à cette puissante divinité des prières et des victimes, demande pour la vierge dédaignée un hymen et un mari. Apollon, bien que grec et ionien, par égard pour l'auteur de notre milésienne, rendit cet oracle en latin :

« Sur un roc escarpé, roi, expose ta fille, pour un hymen de mort pompeusement parée. Et n'attends pas un gendre issu d'un rang mortel, mais un monstre cruel, féroce et vipérin, qui vole par les airs et, n'épargnant personne, porte partout la flamme et blesse avec le fer, fait trembler Jupiter, effroi de tous les dieux, et, redoutable même aux fleuves infernaux, inspire la terreur aux ténèbres du Styx. »

Le roi jadis heureux, après qu'il a reçu la divine prophétie, s'en retourne chez lui à regret, l'âme en peine. Il explique à sa femme ce que prescrit l'oracle de malheur. On se désole, on pleure, on se lamente pendant plusieurs jours. Mais déjà du fatal arrêt presse la sinistre exécution. Déjà l'on prépare pour la vierge infortunée l'appareil de la funèbre noce. La flamme des torches se noircit de fumée et se meurt sous la cendre ; les sons de la flûte nuptiale font place aux accents plaintifs du mode lydien, le joyeux chant d'hyménée finit en hurlement lugubre et l'épousée de demain essuie ses larmes avec son propre voile. Le triste sort qui pèse sur cette maison provoque des pleurs de sympathie dans la cité entière, et la douleur unanime se traduit sans retard par la proclamation d'un deuil public.

Mais la nécessité d'obéir aux avertissements célestes exigeait que Psyché, la pauvrette, subisse la peine qui l'attend. On achève donc, dans une profonde tristesse, les apprêts solennels de cet hymen de mort. Suivi de tout un peuple, le convoi se met en marche de ce cadavre vivant, et Psyché, en larmes, accompagne non sa noce, mais ses obsèques. Cependant, ses parents, navrés et accablés par un si grand malheur, ne peuvent se résoudre à consommer le monstrueux forfait ; c'est leur fille elle-même qui les exhorte en ces termes :

« Pourquoi infliger à votre vieillesse malheureuse le tourment de pleurs continuels? Pourquoi, ce souffle qui est le mien plus encore que le vôtre, pourquoi le secouer sans trêve par d'épuisants cris de douleur? Pourquoi souiller de larmes inutiles un visage pour moi vénérable? Pourquoi, dans vos yeux blesser mon propre regard? Pourquoi dévaster votre chevelure blanche? Pourquoi meurtrir une poitrine, un sein qui me sont sacrés? Voilà pour vous la glorieuse récompense de mon incomparable beauté. C'est une jalousie inhumaine qui vous frappe d'un coup mortel : trop tard vous vous en apercevez. Quand les nations et les peuples nous rendaient des honneurs divins, quand, d'une voix unanime, ils m'appelaient une nouvelle Vénus, c'est alors qu'il fallait gémir, c'est alors qu'il fallait pleurer, c'est alors qu'il fallait prendre le deuil, comme si déjà je vous étais ravie. Je le comprends, je le vois aujourd'hui : seul le nom de Vénus est ce qui m'a perdue. Emmenez-moi, placez-moi sur le rocher auquel le sort m'a assignée. J'ai hâte d'affronter cette heureuse union, j'ai hâte de voir le noble époux qui sera le mien. Pourquoi différer, pourquoi me dérober à la rencontre de celui qui est né pour la ruine de l'univers ? »

Ainsi parla la vierge ; puis elle se tut et, d'un pas affermi, se mêla à la foule qui formait son cortège. On arrive au roc désigné, sur une montagne escarpée ; on place la jeune fille au plus haut sommet ; puis tous l'abandonnent et, jetant là les torches nuptiales qui ont éclairé leur marche et qu'ils ont en cet endroit même éteintes avec leurs larmes, ils reprennent, la tête basse, le chemin de leurs demeures. Les malheureux parents, abattus par la calamité, ont fui la lumière au fond de leur palais clos et se sont enfermés dans une nuit éternelle. Psyché, pendant ce temps, apeurée et tremblante, n'arrête pas de pleurer au haut de son rocher, quand la douce haleine d'un Zéphyr plein de caresses agite d'un frémissement le bord de sa robe et en gonfle les plis, soulève la jeune fille d'un mouvement insensible et, d'un souffle tranquille, la porte sans secousse le long de la paroi rocheuse, au pied de laquelle, dans le creux d'un vallon, il la dépose et gentiment la couche au sein d'une pelouse fleurie.

Psyché, dans ces près d'herbe tendre, mollement étendue sur son lit de gazon humide de rosée, s'est remise de son grand émoi et, doucement, s'est endormie. Après un sommeil suffisant pour réparer ses forces, elle se relève, l'âme apaisée. Elle voit un bois planté d'arbres élancés et touffus, elle voit une source dont l'onde a la transparence du cristal. Au milieu du bois, près de l'endroit où tombe la source, est une demeure royale, bâtie non de main d'homme, mais par un art divin. Dès l'entrée, vous n'en saurez douter : c'est de quelque dieu que vous avez devant vous la luxueuse et plaisante résidence. Les plafonds, aux lambris de thuya et d'ivoire sculptés avec art, sont soutenus par des colonnes en or ; les parois, revêtues toutes d'argent ciselé, offrent aux regards, dès qu'on entre, des bêtes sauvages et d'autres animaux. En vérité, c'est un homme merveilleux, que dis-je? Un demi-dieu, un dieu, celui dont l'art subtil a de la vie de cette faune animé tout cet argent. Quant aux pavements, des pierres précieuses taillées menu y opposent leurs couleurs en formant des dessins variés. Heureux, certes, deux et trois fois heureux ceux dont les pieds se posent sur des gemmes et sur des perles. Les autres parties de la maison, si loin qu'elles s'étendent en largeur comme en profondeur, sont d'un prix inestimable, et tous les murs, faits de blocs d'or massif, resplendissant de leur propre éclat, au point que la maison se donnerait elle-même sa lumière, même si le soleil lui refusait la sienne : tant les chambres, tant les galeries, tant les bains mêmes sont éblouissants. Les richesses qui remplissent la maison répondent pareillement à sa magnificence : on dirait non sans raison que, pour séjourner parmi les hommes, le grand Jupiter s'est construit là un céleste palais.

Attirée par l'agrément de ces lieux, Psyché s'est approchée ; elle s'enhardit à franchir le seuil et, séduite bientôt par l'intérêt d'un si beau spectacle, elle examine tout en détail. De l'autre côté du palais, elle aperçoit des magasins d'une architecture grandiose, où s'entassent des trésors royaux. Rien n'existe, qui ne se trouve pas là. Mais plus que ces immenses richesses, si étonnantes soient-elles, ce qui surtout tient du prodige, c'est que ni chaîne, ni fermeture, ni gardien ne défend ce trésor venu du monde entier. Psyché contemple tout, au comble du plaisir, quand vient à elle une voix dépouillée de son corps : « Pourquoi, ma dame », lui dit-elle, « pourquoi cette stupeur à la vue de tant d'opulence? Tout ceci t'appartient. Entre donc dans la chambre, repose sur le lit tes membres fatigués et, quand il te plaira, commande un bain. Nous, dont tu entends la voix, nous sommes tes servantes, qui nous empresserons d'exécuter tes ordres, et le soin de ta personne achevé, un festin royal t'est destiné, qui ne se fera pas attendre. »

Psyché a reconnu dans cette félicité l'effet d'une providence divine. Docile aux avis de la voix incorporelle, elle dissipe sa fatigue par un somme suivi d'un bain ; puis soudain elle découvre près d'elle un lit surélevé en forme de demi-cercle ; les apprêts d'un repas lui donnent à penser qu'il est mis là pour elle, afin qu'elle se restaure, et, de bon cœur, elle prend place. Aussitôt des vins semblables à du nectar et des plateaux chargés d'une abondance de mets variés sont placés devant elle, sans personne pour faire le service, et poussés seulement par un souffle. Elle ne distinguait cependant aucun être, elle ne faisait qu'entendre des paroles tombant de quelque part et n'avait que les voix pour servantes. Après un copieux festin, il entra quelqu'un qui chanta, sans se laisser voir ; un autre joua d'une cithare qui, de même que lui, resta invisible. Puis un morceau d'ensemble, exécuté par un grand nombre de voix, parvint à ses oreilles, en révélant, bien qu'aucun humain ne parût, la présence d'un chœur.

Ces plaisirs terminés, Psyché, à l'invite du soir, s'alla coucher. La nuit était déjà avancée, quand un léger bruit vint frapper son oreille. Tremblante alors, si seule, pour sa virginité, elle a peur, elle frisonne, et plus qu'aucun malheur, elle redoute ce qu'elle ignore. Et voilà déjà près d'elle le mari inconnu : il est monté dans le lit, a fait de Psyché sa femme et, avant le lever du jour, est reparti en hâte. Aussitôt les voix, aux aguets près de la chambre, donnent leurs soins à la nouvelle épouse dont vient d'être perdue la virginité. Les choses allèrent ainsi pendant un certain temps. Comme l'a voulu la nature, à la nouveauté du plaisir l'habitude ajoutait pour Psyché une douceur de plus, et le son de la voix mystérieuse consolait son abandon.

Cependant ses parents vieillissaient, consumés sans relâche par le deuil et l'affliction. Et le bruit de l'aventure s'étant répandu au loin, les sœurs aînées avaient tout appris. Sur-le-champ, dans la tristesse et la désolation, elles avaient abandonné leur foyer et, rivalisant d'empressement, s'étaient rendues auprès de leurs parents pour les voir, leur porter des paroles d'affection.

Cette nuit-là, le mari, s'adressant à sa Psyché (car à défaut des yeux, les mains pouvaient le toucher et les oreilles l'entendre le plus distinctement du monde) : « Psyché si douce », lui dit-il, « mon épouse aimée, la Fortune, dans sa rigueur accrue, te menace d'un danger mortel ; veille et tiens-toi soigneusement sur tes gardes, voilà mon avis. Tes sœurs, qui te croient morte, dans leur émoi cherchent ta trace et parviendront bientôt au rocher que tu sais. Si, par hasard, tu perçois, venant d'elles, quelques lamentations, ne réponds rien, ne regarde même pas dans leur direction, sous peine d'être cause pour moi d'une grande douleur, pour toi, de la pire des catastrophes. »

Psyché consent. Elle s'engage à faire la volonté de son mari. Mais quand, avec la nuit, celui-ci a disparu, tout le jour, la pauvrette le passe dans les larmes et dans les pleurs, répétant que c'est bien à cette heure que sa vie est finie, si, dans l'opulente prison qui la tient enfermée, elle est privée de tout commerce, de tout entretien avec les êtres humains ; si, quand ses propres sœurs s'affligent à son sujet, elle ne peut ni leur venir en aide, ni les réconforter, ni même d'aucune manière les voir. Et, sans prendre pour se refaire ni bain, ni nourriture, ni rien de ce qui rend des forces, c'est en pleurant abondamment, qu'elle se retire pour dormir.

L'instant d'après, un peu plus tôt que d'habitude, son mari se couche à ses côtés, la prend entre ses bras encore baignée de larmes, et la gronde en lui disant : « Est-ce là ce que tu me promettais, ma Psyché? Qu'attendre désormais de toi, moi ton mari, ou qu'espérer? Durant le jour, durant la nuit, et jusque dans les bras de ton époux, tu ne cesses pas de te torturer. Va donc, fais ce que tu voudras, et contente pour ton malheur les exigences de ton cœur. Qu'il te souvienne toutefois de mes sérieux avertissements, lorsque, trop tard, viendra le repentir. »

Alors, à force de prières et en menaçant de mourir, elle arrache à son mari la permission tant désirée de voir ses sœurs, d'apaiser leur deuil, de s'entretenir avec elles. Et non content de céder de la sorte aux instances de sa nouvelle épouse, il lui accorde, en outre, tout l'or, tous les colliers dont elle voudra leur faire cadeau. Mais il lui recommande avec insistance, et de manière à l'effrayer, de ne chercher jamais, si ses sœurs lui en donnent le pernicieux conseil, à connaître la figure de son mari : curiosité sacrilège qui, du faîte du bonheur, la jetterait dans la perdition et la priverait pour toujours de ses embrassements. Psyché rend grâces à son mari, et déjà plus joyeuse : « Ah ! » dit-elle, « plutôt cent fois mourir que de ne plus goûter la douceur de notre union. Car je t'aime à la folie et je te chéris, qui que tu sois, à l'égal de ma vie ; non, Cupidon lui-même ne t'est pas comparable. Toutefois, à mes prières, je t'en supplie, accorde encore ceci : ordonne à Zéphyr, ton serviteur, de transporter mes sœurs par la même voie que moi et de me les amener ici. » Et tout en le couvrant de baisers séducteurs, en l'enivrant de tendres paroles, en l'enlaçant irrésistiblement, elle ajoute à ses caresses des noms comme « mon chéri, mon mari, douce âme de ta Psyché. » La force et le pouvoir des mots d'amour murmurés à voix basse triomphèrent du mari, qui, cédant à regret, promit tout ce qu'on voulut. Du reste, le jour approchait, et il s'évanouit d'entre les bras de sa femme.

Cependant, les deux sœurs, ayant su quel était le rocher et l'endroit où Psyché avait été abandonnée, s'y rendent en hâte. Et là, elles noyaient leurs yeux de larmes, se frappaient la poitrine, faisaient tant que de leurs hurlements répétés les pierres et les rochers renvoyaient l'écho. Et comme elles appelaient maintenant par son nom leur malheureuse sœur, au bruit perçant de ses plaintes stridentes qui descendaient la montagne, Psyché, éperdue et tremblante, s'élance enfin hors de la maison : « Pourquoi », dit-elle, « vous exterminer sans raison par de déchirantes lamentations? Celle qui cause votre deuil, la voici devant vous. Mettez un terme à vos gémissements funèbres, séchez enfin ces joues longtemps arrosées de larmes, puisque celle que vous pleuriez, vous la pouvez maintenant embrasser. »

Elle appelle alors Zéphyr et lui rappelle l'ordre de son mari. Aussitôt, docile au commandement, il les enlève d'un souffle plein de douceur et, sans encombre, les porte à destination. Les voilà toutes maintenant qui s'embrassent, échangent d'impatients baisers, goûtent la douceur d'être ensemble ; et les larmes apaisées reviennent à l'appel de la joie. « Mais voici », dit Psyché, « mon toit et mon foyer : plus de chagrin, entrez, et que vos cœurs se remettent de leur affliction en compagnie de votre Psyché. »

Leur parlant de la sorte, elle leur montre les immenses richesses de la maison d'or, leur fait entendre le peuple de voix qui la sert, leur offre pour se restaurer, après un bain luxueux, les copieux raffinements d'une table faite pour les immortels. Si bien qu'une fois rassasiées de cette profusion de richesses vraiment célestes, elles commencèrent au fond de leur âme à nourrir des pensées d'envie. Et l'une d'elles en vint à poser, avec une insistance indiscrète, les questions les plus précises : ces célestes merveilles, quel en était le maître? et elle, qui était ou qu'était son mari? Mais Psyché n'enfreint d'aucune manière les prescriptions conjugales ni ne les bannit du secret de son cœur. Elle invente sur l'heure que c'est un beau jeune homme, dont un duvet de barbe ombrage depuis peu les joues, et le plus souvent occupé à chasser dans les champs et dans les montagnes. Puis craignant, si la conversation se prolonge, de laisser échapper par inadvertance ce qu'elle a résolu de taire, elle les charge d'or ouvragé et de colliers de pierres précieuses ; après quoi, sans plus attendre, elle appelle Zéphyr et les lui confie à remporter.

Ce qui fut fait à l'instant. Nos charmantes sœurs, en rentrant au logis, de plus en plus dévorées par le fiel brûlant de l'envie, causaient entre elles avec une bruyante animation. L'une, enfin, s'exprime en ces termes : « Voilà bien, ô fortune, ton aveuglement, ta cruauté et ton injustice. Ainsi, tu as trouvé bon que, filles d'un même père et d'une même mère, nous eussions en partage un sort si différent ? Nous qui sommes les aînées, livrées en mariage à des étrangers pour être leurs servantes, bannies du foyer domestique et de notre patrie même, nous menons loin de nos parents une vie d'exilées ; elle, la dernière venue, fruit tardif d'une fécondité qu'elle a tarie, possède d'immenses richesses avec un dieu pour époux, et elle ne sait même pas user comme il faut de cette abondance de biens. Tu l'as vu, ma sœur : que de colliers, et de quel prix, traînant dans la maison ! et ces étoffes éclatantes, ces étincelantes pierreries, sans parler de cet or sur lequel on marche partout. Si le mari qu'elle possède est aussi beau qu'elle le prétend, il n'est pas aujourd'hui dans le monde entier de mortelle plus heureuse. Et qui sait même si, avec les progrès de l'intimité et la force croissante de l'amour, le dieu son époux n'ira pas jusqu'à en faire une déesse ? Oui, c'est ainsi, son air, son attitude le disaient. Dès maintenant, elle vise plus haut, et tout respire la déesse dans la femme qui a des voix pour servantes et qui commande même aux vents. Tandis que moi, pour mon malheur, le sort m'a donné un mari plus âgé d'abord que mon père, plus chauve ensuite qu'une citrouille, un nain plus chétif qu'un enfant, et qui tient toute sa maison sous garde, derrière des verrous et des chaînes. »

L'autre reprend : « Et moi, donc ! Perclus, tordu de rhumatismes, et ne rendant pour cette raison que de rares hommages à mes charmes, voilà le mari que j'endure. Ses doigts déformés et durcis comme pierre, continuellement je les frictionne ; des compresses puantes, des linges sordides, de fétides cataplasmes brûlent ces mains délicates ; ce n'est pas d'une épouse dévouée que j'ai l'air, c'est d'une garde-malade que je tiens le pénible emploi. Pour toi, ma sœur, on voit avec quelle patience, ou plutôt, pour m'exprimer avec franchise, quelle servilité tu supportes tout cela. Mais moi je ne saurais souffrir davantage la vue d'une telle félicité échue à une indigne. Souviens-t'en, en effet : quelle morgue, quelle arrogance dans sa conduite à notre égard ! Dans l'insolent étalage de son faste, comme elle a laissé paraître l'orgueil qui gonfle son cœur. Et de toutes ces richesses, elle nous a jeté quelques miettes, à regret ; puis aussitôt, importunée de notre présence, elle nous a fait mettre à la porte, balayer par le souffle du vent, chasser sous ses sifflements. Je veux n'être pas femme et ne respirer point, si je ne la précipite d'une si haute fortune. Si toi aussi, comme il est légitime, tu ressens la blessure de notre affront, cherchons à nous deux un plan de conduite énergique. Et d'abord, de ce que nous rapportons, ne montrons rien à nos parents ni à qui que ce soit ; ignorons même si seulement elle est en vie. C'est assez d'avoir vu nous-mêmes ce que nous voudrions n'avoir point vu, sans aller encore auprès des auteurs de nos jours et par le monde entier en trompeter l'heureuse nouvelle. Car ils ne sont pas heureux, ceux dont personne ne connaît les richesses. Elle apprendra qu'elle a en nous non des servantes, mais des sœurs aînées. Pour le moment, retournons auprès de nos maris, allons revoir nos pauvres lares, où règne du moins la frugalité ; prenons notre temps, réfléchissons, et mettons-nous en mesure de revenir plus fortes pour châtier l'orgueil. »

Les deux perfides s'accordent à trouver bon ce perfide dessein. Elles cachent tous leurs précieux cadeaux et, s'arrachant les cheveux, se déchirant les joues - traitement bien mérité -, elles recommencent hypocritement à verser des pleurs. Elles ravivent ainsi du même coup la douleur de leurs parents, qu'elles laissent, sans s'attarder, regagnant en hâte leurs demeures, gonflées de folle rage, pour machiner une ruse infernale, que dis-je ? Un attentat impie contre une sœur innocente.

Cependant Psyché reçoit de son mari inconnu, durant leurs entretiens nocturnes, de nouveaux avertissements. « Vois-tu bien », lui dit-il, « quel péril te menace? La Fortune te fait à distance une guerre d'escarmouches : si tu ne te tiens fortement sur tes gardes, elle engagera bientôt le combat corps à corps. De perfides femelles font tous leurs efforts pour te tendre un piège abominable et te persuader - car c'est tout ce qu'elles veulent - de chercher à connaître mon visage ; or, ce visage, je t'en ai souvent prévenue, si tu le vois, tu ne le verras plus. Si donc à l'avenir ces détestables lamies viennent ici, comme je sais qu'elles viendront, armées de coupables desseins, refuse-toi à toute conversation ; ou si c'est plus que n'en peut supporter ta candeur naturelle et ta tendresse de cœur, sur ton mari du moins n'écoute rien, ne réponds rien. Car notre famille va s'accroître, et ce sein, hier encore celui d'une enfant, nous réserve un enfant à son tour, divin si tu sais te taire et garder nos secrets, mortel si tu les profanes. »

A cette nouvelle, Psyché fut épanouie de bonheur, battant des mains de contentement à la pensée d'une descendance divine, se grisant du glorieux espoir de ce gage promis, se réjouissant de la dignité du titre de mère. Elle compte anxieusement les jours qui s'accumulent et les mois qui s'enfuient, et, porteuse novice d'un fardeau inconnu, elle s'émerveille que, d'une légère piqûre, son ventre ait pris un si riche embonpoint. Mais déjà ces pestes, ces horribles furies, exhalant leur venin de vipère et animées d'une hâte impie, traversaient la mer. Alors, une fois de plus, l'intermittent mari avertit sa Psyché : « Le dernier jour », dit-il, « et le terme fatal sont là : un adversaire qui est de ton sexe, un ennemi qui est de ton sang, a déjà pris les armes, levé le camp, aligné ses troupes, sonné le signal du combat ; déjà tes criminelles sœurs ont tiré le glaive et s'apprêtent à le plonger dans ta gorge. Ah ! quels désastres fondent sur nous, ma si douce Psyché. Aie pitié de toi et de nous ; par une scrupuleuse discipline, délivre notre maison, délivre ton mari et toi-même et ce petit être qui nous appartient de la catastrophe qui nous menace. Et ces scélérates, qu'une haine homicide, que les liens du sang foulés aux pieds ne te permettent plus d'appeler tes sœurs, évite de les voir, de les entendre, quand, telles des Sirènes, penchées au sommet du rocher, elles feront retentir les pierres de leurs funestes appels. »

Psyché répondit d'une voix entrecoupée de sanglots et de larmes : « Depuis longtemps, ce me semble, tu as pu te rendre compte de ma conscience et de ma discrétion ; tu n'apprécieras pas moins à présent ma fermeté de caractère. Ordonne seulement une fois de plus à notre serviteur Zéphyr de s'acquitter de son office, et, à défaut du visage sacré dont ta contemplation m'est refusée, rends-moi du moins la vue de mes sœurs. Par cette chevelure parfumée répandue tout autour de ton front, par ces tendres joues arrondies qui ressemblent aux miennes, par cette poitrine où brûle une flamme secrète, par le désir que j'ai de connaître ta face au moins dans cette petite créature, je t'en conjure, accorde aux prières pieuses d'une suppliante dans l'angoisse la douceur d'un embrassement fraternel, et rends la vie avec la joie à ta Psyché qui n'existe que pour toi. De ton visage, désormais, je ne demande plus à rien savoir ; les ténèbres même de la nuit n'ont plus d'ombre pour moi ; je te tiens, toi, ma lumière. »

Les deux sœurs, couple fraternel conjuré et ligué, sans même rendre visite à leurs parents, vont droit du navire au rocher en précipitant leur course et, sans attendre la présence de leur porteur, le vent, avec une folle témérité, elles se lancent dans le vide. Zéphyr, fidèle au commandement de son seigneur, les reçut, bien qu'à contrecœur, au sein des brises aériennes et les déposa sur le sol. Elles, sans perdre un moment, d'un pas pressé, entrent dans la maison, embrassent leur proie, dont par mensonge elles se disent les sœurs et, couvrant d'un visage avenant le trésor de perfidie qui se cache au fond de leur cœur, elles lui tiennent des propos flatteurs : « Eh bien ! Psyché, tu n'es plus la petite fille de naguère, et te voilà mère à ton tour. Dis, que nous portes-tu de beau dans cette petite besace? De quelle joie tu vas égayer toute notre maison ! Quel bonheur pour nous, quelle allégresse, de servir de nourrices à cet enfant merveilleux. Si la beauté, comme on s'y doit attendre, répond à celle de ses parents, c'est un vrai Cupidon que nous allons voir naître. »

Ainsi, par de faux-semblants d'affection, elles s'emparent insensiblement de l'esprit de leur sœur. Vite, elle leur offre des sièges pour se remettre de la fatigue du voyage, les tièdes fontaines d'un bain pour se détendre et, les mettant à table, le merveilleux régal de ses mets délicieux et de ses viandes de choix. Elle donne un ordre, et la cithare retentit ; un autre, et les flûtes résonnent ; un autre encore, et des chants s'élèvent en chœur. Et toutes ces suaves mélodies, sans que personne se montrât, charmaient l'esprit de qui les entendait.

Mais même à ces accents doux comme le miel ne s'adoucit ni ne s'apaise la méchanceté de nos deux scélérates. Pensant toujours au piège conçu par leur malice, elles engagent la conversation dans ce sens, interrogent leur sœur sans faire semblant de rien, lui demandent ce qu'est son mari, dans quelle famille il est né, de quel milieu il est sorti. Psyché, dans son extrême simplicité, oublie ce qu'elle a dit auparavant et forge un nouveau conte : son mari, dit-elle, est d'une province voisine ; il a de grandes affaires financières ; il est dans la maturité de l'âge et sa tête est semée de quelques cheveux blancs. Puis, coupant court à cet entretien, elle les charge à nouveau de somptueux présents et les remet aux soins du convoyeur aérien.

Ramenées donc à travers les airs par le souffle tranquille de Zéphyr, elles retournent dans leurs demeurent et se parlent ainsi l'une à l'autre : « Que dire, ma sœur, du monstrueux mensonge de cette impertinente ? Hier, c'était d'un adolescent dont le menton se revêtait de la fleur d'un duvet récent ; aujourd'hui, c'est un homme d'âge moyen dont la chevelure s'éclaire de reflets argentés. Quel est-il, celui qu'un court espace de temps a soudain métamorphosé en vieillard ? La seule explication, ma sœur, c'est ou que la misérable invente des mensonges, ou qu'elle ignore comment est fait son mari. De l'un ou de l'autre, quel que soit le vrai, il la faut déloger au plus tôt de cette prospérité qui est la sienne. Si elle ne connaît pas la figure de son mari, c'est sûrement un dieu qu'elle a épousé, un dieu que nous promet sa grossesse. Ah ! si, ce qu'au ciel ne plaise, elle passe pour la mère d'un enfant divin, du coup je me pends à un nœud de corde. En attendant, retournons auprès de nos parents et, comme suite à cet entretien, ourdissons quelque ruse qui y soit assortie. »

Enflammées de la sorte, elles saluent leurs parents du bout des lèvres ; puis, après les veilles agitées de leur nuit, dès le matin, ne se possédant plus, elles volent au rocher, de là volent promptement jusqu'en bas, grâce à l'aide accoutumée du vent, et se pressant les paupières pour faire sortir quelques larmes, elles tiennent à la jeune femme ce langage plein d'astuce : « Tu es heureuse, toi, tu te reposes, insoucieuse du danger qui te menace, dans la félicité que t'assure l'ignorance même de ton malheur. Nous, cependant, qui montons une garde vigilante autour de tes intérêts, nous sommes cruellement tourmentées de tes infortunes. Car, nous l'avons appris de source sûre et nous ne pouvons te le cacher, associées comme nous le sommes à ta peine et à ton épreuve : un horrible serpent, un reptile aux replis tortueux, au cou gonflé d'une bave sanglante, d'un venin redoutable, à la gueule profonde et béante : voilà celui qui furtivement la nuit repose à tes côtés. Or, rappelle-toi l'oracle du dieu de Delphes, et le monstre farouche que sa voix prophétique t'assignait pour époux. Nombreux sont les cultivateurs, les chasseurs des environs, les habitants du voisinage, qui l'ont vu revenant le soir de la pâture et nageant dans les eaux du fleuve le plus proche. Et ce n'est plus pour longtemps, à ce qu'affirme chacun, qu'empressé à te servir, il te nourrit grassement des mets les plus flatteurs ; mais, sitôt que le fruit qui mûrit dans ton sein ayant atteint son terme, tu seras devenue chère plus profitable, il te dévorera. A toi maintenant de juger si tu veux écouter des sœurs qui tremblent pour ta précieuse existence, échapper à la mort et vivre avec nous sans crainte du danger, ou avoir pour tombeau les entrailles d'une bête cruelle. Si la solitude d'une campagne habitée par des voix, si un amour clandestin, la répugnante intimité de nuits pleines de périls et les embrassements d'un serpent venimeux ont pour toi des attraits, nous du moins, en sœurs pieuses, nous aurons fait notre devoir. »

A ces sinistres paroles, la malheureuse enfant, dans la simplicité de sa tendre âme naïve, est saisie d'épouvante. Egarée, hors d'elle-même, elle a perdu la mémoire des avertissements de son mari, de ses propres promesses, et s'est précipitée dans un abîme de calamités. Tremblante, exsangue, livide, elle articule à peine, et d'une voix éteinte, des mots entrecoupés, disant :

« Vous ne faites, mes sœurs chéries, que rester fidèles, comme il convenait, aux devoirs de la piété fraternelle ; et quant à ceux qui vous affirment ces choses, ils ne me paraissent pas inventer de mensonges. Car jamais je n'ai vu le visage de mon mari et je ne sais même pas d'où il vient. La nuit seulement, et saisissant à peine le son de sa voix, je subis l'approche d'un époux dont la condition m'échappe et qui fuit la lumière. Oui, vous dites vrai, c'est quelque bête, et j'ai tout lieu de penser comme vous. Il ne cesse de me faire peur de sa vue, et me menace des pires châtiments si j'ai la curiosité de connaître ses traits. Si maintenant vous pouvez apporter une aide salutaire à votre sœur en danger, c'est le moment de venir à son secours ; agir autrement serait détruire par votre indifférence présente le bienfait de votre prévoyance première. »

Trouvant dès lors les portes grandes ouvertes et l'âme de leur sœur livrée à découvert, les scélérates, sans plus dissimuler ni recourir aux engins camouflés, tirent le glaive de la fourberie et s'emparent des pensées affolées de la candide enfant. L'une, enfin, lui tient ce langage : « Les liens du sang écartent de nos yeux, quand il s'agit de ta sécurité, jusqu'à l'image du danger ; nous t'indiquerons donc, après de longues, très longues réflexions, quelle est la voie qui seule conduit au salut. Prends un rasoir bien aiguisé, repasse-le pour le polir et en aviver le tranchant sur la paume de ta main et, sans être vue, cache-le dans le lit à la place où tu couches d'ordinaire. Prends une lampe maniable, bien garnie d'huile, qui jette un vif éclat ; mets la sous le couvert de quelque marmite ; entoure tous ces préparatifs d'un secret impénétrable. Quand, traînant jusqu'ici sa marche onduleuse de reptile, il sera monté dans le lit suivant son habitude ; quand il s'y sera étendu et que, terrassé par le premier sommeil, tu connaîtras à sa respiration qu'il dort profondément, alors laisse-toi glisser du lit ; déchaussée, sur la pointe des pieds, doucement et à petits pas, va délivrer la lampe de sa ténébreuse prison ; prends conseil de sa lumière pour saisir l'instant favorable à ton glorieux exploit et, sans plus hésiter, lève d'abord le bras droit, puis, de toutes tes forces et d'un coup vigoureux de l'arme à deux tranchants, coupe le nœud qui relie à la nuque la tête du serpent malfaisant. Notre assistance, d'ailleurs, ne te fera pas défaut. Sitôt que par sa mort tu auras assuré ton salut, aux aguets, nous serons prêtes et nous nous hâterons d'emporter, en t'emmenant toi-même, tout ce que tu as ici, et nous t'unirons, par un hymen digne de tes vœux, créature humaine, à un être humain. »

Ces paroles portent le feu dans la chair déjà brûlante de leur sœur, qu'elles s'empressent d'abandonner, redoutant personnellement par-dessus tout la proximité même de la tragique aventure. Déposées comme d'habitude par les ailes du vent au sommet du rocher, elles se dérobent par une fuite rapide, montent sur leurs navires et disparaissent.

Cependant, Psyché, laissée seule - que dis-je, seule ? elle ne l'est pas, les Furies la harcèlent - est agitée par le chagrin comme une mer aux flots bouillonnants. Si arrêté que soit son dessein et affermie sa résolution, au moment d'exécuter son crime, elle hésite encore et chancelle et se sent partagée entre les émotions contraires que provoque en elle la détresse : l'impatience, l'indécision, l'audace, l'inquiétude, la défiance, la colère, et pour tout dire enfin, dans le même être elle hait le monstre, elle aime le mari. Mais quand le soir ramène les ténèbres, elle précipite les apprêts de l'odieux forfait. La nuit était là ; le mari était là, et après les premières passes d'armes de l'amour, était tombé dans un profond sommeil. Alors Psyché, faible par nature et de corps et d'âme, mais soutenue par la cruelle volonté du destin, raffermit ses forces, va chercher la lampe, saisit le rasoir : la faiblesse de son sexe se mue en audace.

Mais sitôt que la lumière a éclairé le secret du lit, elle voit de toutes les bêtes sauvages le monstre le plus aimable et le plus doux, Cupidon en personne, le dieu gracieux, qui gracieusement repose. A cette vue, la flamme même de la lampe s'aviva joyeusement et le rasoir maudit son tranchant sacrilège. Quant à Psyché, un tel spectacle l'avait anéantie et ravie à elle-même. Les traits livides, décomposés, défaillante et tremblante, elle se laissa tomber à genoux et cherche à cacher le fer, mais dans son propre sein ; et elle l'eût fait à n'en douter, si l'arme, par crainte d'un tel attentat, n'avait glissé de ses mains téméraires et ne lui avait échappé. Mais bientôt, tout épuisée, tout expirante qu'elle est, à force de contempler la beauté du divin visage, elle reprend ses esprits. Elle voit une tête dorée, une noble chevelure inondée d'ambroisie ; sur un cou de neige et des joues vermeilles errent des boucles harmonieusement entremêlées, qui retombent les unes en avant, les autres en arrière, et si vif était l'éclat dont elles rayonnaient qu'il faisait vaciller la lumière même de la lampe. Aux épaules du dieu ailé, des plumes étincellent de blancheur, telles des fleurs humides de rosée, et sur les bords de ses ailes, bien qu'elles soient au repos, un tendre et délicat duvet se joue, agité sans trêve d'un frémissement capricieux. Le reste de son corps était lisse et lumineux et tel que Vénus n'avait pas à regretter de l'avoir mis au monde. Aux pieds du lit reposaient l'arc, le carquois et les flèches, traits propices du puissant dieu.

Psyché ne peut pas se rassasier, dans sa curiosité, d'examiner, de manier. Elle admire les armes de son mari, tire une flèche du carquois, en essaie la pointe sur son pouce, d'un doigt qui tremble encore appuie un peu plus fort, se pique assez avant pour qu'à la surface de la peau perlent quelques gouttelettes d'un sang rosé. C'est ainsi que, sans le savoir, Psyché se prend elle-même à l'amour de l'Amour. Le désir brûle en elle, de plus en plus ardent, de l'Auteur des désirs : elle se penche sur lui, haletante d'envie, le dévore avidement de larges baisers passionnés, tout en craignant d'abréger son sommeil. Mais, tandis que, le cœur défaillant, elle s'abandonne, irrésolue, à cet émoi plein de délice, la lampe, soit basse perfidie et malice jalousie, soit impatience, elle aussi, de toucher et comme de baiser ce beau corps, laissa tomber de sa mèche lumineuse une goutte d'huile bouillante sur l'épaule droite du dieu. Ah ! lampe audacieuse et téméraire, servante infidèle de l'amour ! Brûler le maître même du feu, quand c'est un amant, souviens-t'en, qui, pour posséder plus longtemps et jusque dans la nuit l'objet de ses désirs, t'a inventée le premier. Le dieu, sous la brûlure, bondit, et quand il vit sa foi trahie et souillée, il s'arracha aux baisers et aux embrassements de sa malheureuse épouse et s'envola sans mot dire.

Mais Psyché, dans l'instant même où il se relevait, avait des deux mains saisi sa jambe droite ; compagne lamentable de son ascension aérienne, suspendue à son vol vers les régions des nuages, elle s'obstine à le suivre ; puis, enfin, épuisée, elle se laisse glisser à terre.

Son amant divin ne l'abandonna pas gisante sur le sol ; il alla se poser sur un cyprès voisin et, de la haute cime de l'arbre, profondément ému, il lui adresse ces mots :

« Oui, je l'avoue, trop crédule Psyché, j'ai oublié les ordres de ma mère Vénus, qui te voulait captive d'une impérieuse passion pour le dernier des misérables et condamnée à une abjecte union, et c'est moi qui ai volé vers toi pour être ton amant. C'était, je ne l'ignore pas, agir à la légère. L'archer célèbre s'est percé de ses propres flèches. J'ai fait de toi ma femme, afin, apparemment, que tu me prisses pour une bête monstrueuse et que ta main tranchât avec le fer une tête où tu vois des yeux qui t'adorent. Contre ce qui est arrivé, t'ai-je assez souvent mise en garde? Ne te répétais-je pas, avec bonté, mes avertissements? Mais tes vertueuses conseillères ne tarderons pas à recevoir de moi le prix de leurs pernicieuses leçons. Quant à toi, ma fuite sera ta seule punition. » En achevant ces mots, il s'envola dans les airs et disparut.

Cependant, Psyché, prosternée à terre, suivait des yeux, aussi loin que portait sa vue, le vol de son mari, en meurtrissant son cœur de lamentations désespérées. Mais après qu'emporté par l'aviron des ailes, son mari fut perdu pour elle dans les hauteurs de l'espace, elle s'alla jeter la tête la première du bord du fleuve le plus proche. Mais le fleuve indulgent, par respect sans doute pour le dieu qui enflamme jusqu'aux ondes, et craignant pour lui-même, la prit aussitôt dans un remous sans lui faire aucun mal et la déposa sur la rive de gazon fleuri.

Il se trouva qu'à ce moment, Pan, le dieu campagnard, était assis sur le haut de la berge ; il tenait embrassée Écho, déesse des montagnes, et lui enseignait à répéter les airs les plus variés. Non loin de l'eau, ses chèvres, çà et là, paissent en folâtrant et broutent le feuillage au long de la rivière. Le dieu aux pieds de bouc, apercevant Psyché pitoyable de défaite, et d'ailleurs n'ignorant pas son aventure, l'appelle à lui avec bonté et cherche à l'apaiser par de douces paroles : « Ma belle enfant, je ne suis qu'un campagnard et un gardeur de bêtes, mais l'âge et la vieillesse m'ont fait riche d'expérience. Si mes conjectures sont justes - et des gens assurément bien informés appellent cela divination -, cette démarche incertaine et trébuchante, cette pâleur extrême, ces soupirs continuels, et surtout ces yeux noyés de douleur indiquent qu'un grand amour est ce qui cause ta peine. Ecoute-moi donc : renonce à te précipiter ou à te faire périr d'aucune autre manière. Cesse de t'attrister et quitte ton chagrin, vénère plutôt par tes prières Cupidon, le plus grand des dieux, et mérite par de tendres hommages la faveur de l'adolescent qu'il est, raffiné et voluptueux. »

Ainsi parla le dieu pasteur. Psyché, pour toute réponse, adore sa puissance salutaire et poursuit sa route. Elle avait erré quelques temps, avançant avec peine, quand, vers la chute du jour, elle parvint sans le savoir, par un certain chemin, à une ville où régnait le mari d'une de ses sœurs. L'ayant appris, Psyché demande qu'on annonce à celle-ci sa présence ; on l'introduit, et une fois terminées les salutations réciproques et les effusions mutuelles, sa sœur lui demande la cause de sa venue. Psyché commence ainsi : « Tu te rappelles le conseil que vous m'aviez donné : ce monstre, qui, sous le nom trompeur de mari, passait la nuit avec moi, vous m'aviez engagé à la faire périr avec une arme à double tranchant, avant qu'il engloutît la pauvre enfant que j'étais dans sa gueule vorace. J'adoptai cet avis. Mais quand la lampe complice me montra son visage, voici que s'offre à mes regards un spectacle merveilleux et vraiment divin : le fils de la déesse Vénus en personne, oui, Cupidon lui-même, qui reposait plongé dans un sommeil paisible. Ravie d'une telle contemplation, j'étais envahie d'un trouble si délicieux que mes sens avaient peine à suffire à cet excès de volupté, quand, par un accident funeste, la lampe éclaboussa son épaule d'une goutte d'huile bouillante. La douleur le tira brusquement du sommeil, et, me voyant armée de la flamme et du fer : « Pour prix », dit-il, « de ce forfait abominable, quitte à l'instant mon lit, prends ce qui t'appartient : ce sera ta sœur - et il prononçait ton nom - que j'épouserai dans toutes les formes. » Puis aussitôt il ordonne à Zéphyr de m'emporter d'un souffle hors des limites de sa maison. »

Psyché n’avait pas encore fini de parler que l’autre, sous l’aiguillon d’une passion frénétique et d’une maligne jalousie, invente un conte pour donner le change à son mari, et, sous prétexte qu’elle a appris la mort de ses parents, elle s’embarque aussitôt, va droit jusqu’au rocher, et, bien que souffle un autre vent, aveuglée d’un avide espoir : « reçois », dit-elle, « ô Cupidon, une épouse digne de toi ; et toi, Zéphyr, viens prendre et soutiens la souveraine. » Ce disant, elle s’élance et se jette dans le vide. Mais elle ne put, même une fois morte, atteindre l’endroit souhaité. Laissant, de chute en chute, aux saillies du rocher, ses membres dispersés, elle eut la fin qu’elle méritait, et ses chairs en lambeaux restèrent offertes en pâture aux oiseaux de proie et aux fauves.

Pour la seconde non plus, le châtiment vengeur ne se fit pas attendre. Car, reprenant sa course vagabonde, Psyché parvint en une autre ville, où demeurait cette fois son autre sœur. Celle-ci de même se laissa prendre à la ruse fraternelle : impatiente de supplanter sa sœur par un mariage criminel, elle courut au rocher et fut précipitée dans un semblable trépas.

Cependant, tandis que Psyché parcourait la terre, toute à la recherche de Cupidon, lui, souffrant de la blessure de la lampe, était couché et gémissait dans la chambre même de sa mère. Alors, l’oiseau au blanc plumage, qui rase, porté par ses ailes, la surface des flots marins, la mouette plonge, rapide, dans le sein profond de l’Océan. Justement, Vénus était là, qui se baignait et qui nageait. L’oiseau se pose auprès d’elle ; il lui rapporte que son fils s’est brûlé ; que sa blessure, qui est grave, le fait beaucoup souffrir ; qu’il est au lit dans un état alarmant ; que, par le monde entier, il court, sur toute la famille de Vénus, des rumeurs et des médisances compromettantes pour sa réputation : « Car on se plaint », lui dit-elle, « que vous ayez disparu, lui pour suivre une créature dans les montagnes, toi pour t’ébattre dans la mer. Et dès lors, adieu la volupté, la grâce, l’enjouement ; partout la négligence, la grossièreté inculte ; plus d’unions conjugales, plus de liens d’amitié, plus d’affections filiales, mais un dérèglement abject et sans mesure, un sordide dégoût de tous rapports sociaux. »

C’est ainsi que l’oiseau bavard et indiscret caquetait à l’oreille de Vénus et lui déchirait l’honneur de son fils. Mais Vénus, transportée de colère : «Ainsi », s’écria-t-elle soudain, « mon digne fils a déjà une liaison ? Apprends-moi donc, toi qui seule me sers par affection, le nom de celle qui a débauché ce garçon naïf et encore innocent. Est-elle du peuple des Nymphes, ou du nombre de Heures ? Est-elle du chœur des Muses, ou de la troupe des Grâces, mes servantes ? »

L’oiseau jaseur ne resta pas muet : « Je ne sais », dit-il, « ma dame ; c’est d’une jeune fille, je crois – si j’ai bonne mémoire, on la nomme Psyché – qu’il est éperdument amoureux. »

Vénus, outrée, s’exclama de plus belle : « Psyché ! Ma rivale en beauté, l’usurpatrice de mon nom ? En vérité, il l’aime ? Le gamin m’aura prise pour une maquerelle, et s’est imaginé que je lui montrais cette fille pour qu’il la connût. »

En tempêtant de la sorte, elle se hâte de remonter à la surface, va droit à sa chambre d’or et, trouvant son fils malade, comme on le lui avait annoncé, encore sur le pas de la porte, elle crie à tue-tête : « Voilà une honnête conduite, digne de notre race et de ta vertu ! Tu foules aux pieds, pour commencer, les ordres de ta mère, de ta souveraine, qui plus est ! Et, loin d’infliger à mon ennemie les tourments d’un amour ignoble, c’est toi-même, un enfant de ton âge, qui, sans rien respecter, t’unis à elle par des liens trop précoces, apparemment pour m’imposer comme bru mon ennemie. Sans doute te figures-tu, polisson, séducteur, personnage répugnant, que toi seul peux faire souche, et que je ne suis plus en âge de concevoir ? Eh bien ! sache-le, je mettrai au monde un autre fils, bien meilleur que toi ; et même, pour te rendre l’affront plus sensible, j’adopterai l’un de mes petits esclaves domestiques et je lui donnerai ces ailes et cette torche et l’arc avec les flèches, tout cet attirail qui m’appartient et que je ne t’avais pas confié pour cet usage ; car ce n’est pas sur tes biens paternels qu’il t’a rien été octroyé pour cet équipement. Mais tu fus mal appris dès ta première enfance ; tu as les ongles pointus ; que de fois tu as malmené tes aînés sans le moindre respect ! Ta mère elle-même, oui, moi, dis-je, ta mère, tu me déshabilles chaque jour, parricide ; tu m’as souvent battue, tu me méprises, dirait-on, comme une femme délaissée, sans crainte de ton beau-père, ce grand et vaillant guerrier. Et pourquoi non, en effet ? N’as-tu pas l’habitude, pour tourmenter mon cœur d’amante, de lui fournir des filles ? Mais je te ferai repentir de ces jeux et éprouver de ce mariage une cuisante amertume. – Oui, mais bafouée comme je le suis, que faire ? De quel côté me tourner ? Comment mettre à la raison cette petite vipère ? Vais-je demander secours à mon ennemie la Sobriété, que j’ai si souvent blessée par le dévergondage même de ce garçon ? Et dois-je vraiment m’adresser à cette femme grossière et malpropre. J’en ai le frisson. Mais la consolation que donne la vengeance n’est pas à dédaigner, d’où qu’elle vienne. Allons, c’est à elle et nulle autre qu’il faut avoir recours pour châtier vertement ce vaurien, pour vider son carquois, désarmer ses flèches, dénouer son arc, éteindre la flamme de sa torche, bien plus : pour le mater lui-même par des remèdes énergiques. Je ne croirai mon injure expiée que quand elle aura rasé cette chevelure que souvent de mes propres mains j’ai caressée et fait briller comme l’or, rogné ces ailes que sur mon sein j’inondai de nectar. »

Sur ces mots elle s’élance au dehors, la bile échauffée de colère – une colère de Vénus. Dans le même moment, Cérès et Junon la rejoignent, qui, la voyant le visage tout congestionné, lui demandèrent pourquoi ce farouche froncement de sourcils qui voile l’éclat de ses beaux yeux ? « Vous voilà juste à point », dit-elle, « pour donner à mon cœur brûlant la satisfaction qu’il réclame. N’épargnez rien, je vous en prie, pour découvrir et me ramener cette Psyché fugitive, envolée je ne sais où. Car vous n’ignorez pas sans doute le scandale de ma maison, ni les prouesses de celui qui ne doit plus être appelé mon fils. »

Elles, qui savaient ce qui s’était passé, essayèrent de calmer le violent courroux de Vénus « Quel crime », lui dirent-elles, « madame, a donc commis ton fils, pour que d’un vouloir inflexible tu contraries ses plaisirs et poursuives même avec passion la perte de celle qu’il aime ? De grâce, est-ce être si coupable que d’aimer sourire à une jolie fille ? Ignores-tu que c’est un homme et qu’il est jeune ? Ou as-tu oublié son âge ? Est-ce parce qu’il porte gentiment ses années qu’il te paraît toujours un enfant ? Tu es mère et de plus femme sensée : vas-tu toujours espionner ses ébats, l’accuser d’inconduite, lui reprocher ses amours et condamner chez un si joli fils tes talents à toi et tes voluptés ? A quel dieu, quel mortel faire admettre que tu répande de désir parmi toutes les créatures, quand, dans ta propre maison, tu imposes aux Amours une amère contrainte et fermes l’école, ouverte à tout venant, du péché de galanterie ? »

C’est ainsi que, recherchant les bonnes grâces de Cupidon par crainte de ses flèches, les deux déesses plaidaient sa cause et le flattaient absent. Mais Vénus, indignée de voir prendre en plaisanterie les affronts qu’elle a reçus, leur tourne le dos et part de son côté, en reprenant d’un pas rapide le chemin de la mer.

Pendant ce temps, Psyché, errant à l’aventure, poursuivait sans repos sa quête nuit et jour, d’autant plus désireuse en son cœur, sinon de calmer la colère de son mari par les caresse d’une épouse, au moins de la désarmer par les prières d’une esclave. Apercevant au loin un temple sur le sommet d’un mont escarpé : « Qui sait », dit-elle, « si ce n’est pas là qu’habite mon seigneur ? » Et elle s’y porte d’un pas rapide, ranimée dans sa marche, elle qui défaillait de fatigues ininterrompues, par son espérance et ses vœux. La haute crête vaillamment gravie, elle s’introduit auprès du siège de la divinité. Elle voit des épis de blé, disposés en tas ou tressés en couronnes, ainsi que des épis d’orge. Il y avait aussi des faux et tout un attirail de moissonneurs, mais tous ces outils gisaient là pêle-mêle, négligemment jetés, et tels que les laissent abandonnés, comme il arrive, aux heures chaudes de l’été, les mains des travailleurs. Psyché les sépare avec soin, met chaque chose à sa place et la range avec ordre, estimant sans doute que loin de négliger les sanctuaires ou le culte d’aucun dieu, c’est de tous qu’elle doit implorer la miséricorde bienveillante.

Comme elle s’acquittait de cette tâche avec un zèle attentif, Cérès nourricière la surprend, et s’exclamant longuement : « Eh quoi ! », s’écrie-t-elle, « pitoyable Psyché ? Dans le monde entier, Vénus, en fureur, cherche anxieusement ta trace, te réclame pour le dernier supplice et exige sa vengeance de toute sa puissance divine : toi, cependant, tu veilles sur mes intérêts et penses à autre chose qu’à ton salut ? »

Alors Psyché se jetant à ses genoux, arrosant d’un torrent de larmes les pieds de la déesse, et balayant le sol avec ses cheveux implorait sa grâce par d’abondantes prières. « Je t’en conjure, par cette main qui dispense les fruits de la terre, par les rites fécondants des moissons, par le secret inviolable des cistes, par le chariot ailé des dragons qui te servent, par les sillons des campagnes siciliennes et le char ravisseur et la terre, gardienne avare, par la descente de Proserpine vers un ténébreux hymen, par le retour de ta fille, retrouvé dans la lumière, par tout ce que couvre d’un voile de silence le sanctuaire de l’attique Éleusis, viens en aide à l’âme pitoyable de Psyché ta suppliante. Souffre que je me cache parmi ces tas d’épis, ne fût-ce que quelques jours, juste assez pour laisser au courroux démonté de la puissante déesse le temps de s’adoucir, ou du moins à mes forces épuisées par un long labeur le répit nécessaire à un repos apaisant. »

Cérès reprit : « Tes larmes, tes prières m’émeuvent, et je voudrais te secourir. Mais Vénus est ma parente, et je cultive avec elle de vieilles relations d’amitié ; c’est de plus une femme excellente ; je ne puis affronter son ressentiment. Sors donc bien vite de cette demeure et estime-toi heureuse que je ne te retienne prisonnière. »

Rebutée contre son espoir, et sous le coup d’une double peine, Psyché revenait sur ses pas, quand, à travers le demi-jour d’un bois sacré, dans un vallon, elle aperçoit au-dessus d’elle un temple construit avec un art savant. Ne voulant négliger aucune chance, même incertaine, de plus heureuse réussite, mais solliciter la faveur de n’importe quelle divinité, elle s’approche de la sainte entrée. Elle voit des offrandes précieuses et, suspendues aux branches des arbres et aux montants des portes, des étoffes sur lesquelles était inscrit en lettres d’or, avec la reconnaissance d’un bienfait, le nom de la déesse objet de ces présents. Psyché, ployant d’abord le genou, entoure de ses mains l’autel encore tiède et, après avoir essuyé ses larmes, elle fait cette prière :

« Épouse et sœur du grand Jupiter, - que tu habites le temple antique de Samos, qui seule se glorifie de t’avoir donné le jour, d’avoir entendu tes vagissements, d’avoir nourri ton enfance ; que tu fréquentes les demeures heureuses de la haute Carthage, qui t’honore sous l’aspect d’une vierge qui parcourt le ciel, portée par un lion ; ou encore que près des rives de l’Inachus, qui reconnaît en toi l’épouse du maître du tonnerre et la reine des dieux, tu protèges les remparts illustres d’Argos ; - toi que tout l’Orient vénère sous le nom de Zygie et tout l’Occident sous celui de Lucine, dans mon infortune extrême, sois pour moi Junon Secourable. Tu me vois épuisée par toutes les fatigues que j’ai subies ; délivre-moi de la crainte d’un péril menaçant. N’est-ce pas toi qui de toi-même viens en aide dans leurs alarmes à celles qui vont enfanter ? »

Dans le temps même qu’elle priait ainsi, Junon en personne lui apparaît dans toute la majesté de son auguste puissance. « Que je voudrais », dit-elle, « crois-en ma parole, accueillir favorablement tes supplications. Mais l’honneur ne me permet pas d’aller contre la volonté de Vénus ma bru, que j’ai toujours chérie contre à l’égal d’une fille. Du reste, je suis tenue par la loi, qui interdit de recueillir contre le gré de son maître un esclave fugitif. »

Accablée par ce nouveau naufrage où sombre sa fortune, ne pouvant plus désormais atteindre son époux ailé et renonçant à toute espérance de salut, Psyché tient ainsi conseil avec elle-même : « Que tenter maintenant dans ma détresse ? A quelle autre aide avoir recours, quand les déesses même, malgré leur bonne volonté, n’ont pu m’être d’aucun appui ? De tous côtés prise au filet, où porter encore mes pas ? Dans quel abri, quelles ténèbres même me cacher pour échapper à l’œil inévitable de la grande Vénus ? Qu’attends-tu donc ? Arme-toi d’une mâle énergie, renonce courageusement à tes pauvres espoirs ruinés, rends-toi volontairement à ta souveraine et cherche à désarmer par une soumission, si tardive soit-elle, l’emportement de sa fureur. Sais-tu même si celui que tu cherches depuis longtemps, tu ne le trouveras pas là-bas dans la maison de sa mère ? » Ayant ainsi pris son parti d’une obéissance risquée, pour ne pas dire d’une perte certaine, elle méditait en elle-même par où elle commencerait ses supplications.

Cependant, Vénus, renonçant à poursuivre ses recherches par des moyens terrestres, se dispose à monter au ciel. Elle fait équiper le char que Vulcain, subtil orfèvre, avait mis tout son art à façonner pour elle et qu’il lui avait offert en cadeau de noces avant les prémices de l’hymen : ouvrage embelli de tout ce dont l’avait diminué, en l’affinant, le travail de la lime, et auquel la perte même de l’or avait ajouté du prix. Des nombreuses colombes qui nichent aux abords de l’appartement de leur maîtresse, quatre s’avancent, toutes blanches, qui, d’une allure joyeuse et tournant leurs cous nuancés, se placent sous le joug orné de pierreries, reçoivent leur maîtresse et prennent gaiement leur vol. Des moineaux accompagnent le char de la déesse de leurs ébats et de leurs pépiements bruyants, tandis que les autres oiseaux au chant harmonieux font retentir doucement leurs suaves mélodies et annoncent l’arrivée de la déesse. Les nuages s’écartent, le ciel s’ouvre pour sa fille, l’éther, tout là-haut, accueille avec joie immortelle ; ni la rencontre des aigles ni les éperviers rapaces ne viennent causer d’effroi à la suite chantante de la grande Vénus.

Celle-ci se rend droit à la forteresse royale, demeure de Jupiter. Hautaine, elle présente sa requête et demande qu’on lui prête les services de Mercure, le dieu à la voix sonore, pour une affaire urgente. Jupiter, de son noir sourcil, signifie son acquiescement. Aussitôt Vénus, triomphante, descend du ciel, accompagnée de Mercure, et l’entreprend d’un air affairé : « Tu sais, n’est-il pas vrai, Arcadien, mon frère, que ta sœur Vénus n’a jamais rien fait qu’avec l’assistance de Mercure. Et tu n’es pas sans avoir appris depuis combien de temps je cherche vainement une servante à moi qui se cache. Aussi ne me reste-t-il qu’à publier par ton ministère l’annonce d’une récompense à qui l’aura découverte. Hâte-toi donc de t’acquitter de la mission que je te confie ; donne un signalement auquel on la reconnaisse sans faute, afin que si quelqu’un, contre la loi, se rend coupable de recel, il ne puisse pas invoquer l’excuse de l’ignorance. » En même temps, elle lui tend un papier portant le nom de Psyché et les autres indications ; après quoi elle rentre droit chez elle.

Mercure ne manque pas d’obéir. Faisant partout dans le monde courir son message de bouche en bouche, il s’acquittait en ces termes de la proclamation dont il est chargé : « Une esclave, fille de roi, servante de Vénus, et du nom de Psyché, est en fuite. Si quelqu’un peut arrêter la fugitive ou révéler en quel lieu elle se cache, qu’il aille trouver derrière les bornes Murciennes Mercure, crieur public ; il recevra pour prix de sa dénonciation, de Vénus elle-même, sept doux baisers, plus un du fin bout de la langue, un pur miel, celui-là. »

L’annonce de Mercure et le désir d’une telle récompense suscitèrent bientôt parmi tous les mortels une émulation de zèle. Cette circonstance, plus qu’aucune autre cause, mit fin à toutes les hésitations de Psyché. Et déjà elle approchait des portes de sa souveraine, quand elle vit venir à sa rencontre l’une des suivantes de Vénus, qui se nommait Habitude. Celle-ci aussitôt s’écrie de toutes ses forces : « Tu as donc fini par comprendre, vaurienne de servante, que tu avais une maîtresse ? Ou feindras-tu aussi, avec ton effronterie ordinaire, d’ignorer combien de fatigues nous avons supportées à courir à ta recherche ? Par bonheur, te voilà tombée précisément entre mes mains ; c’est Orcus même qui te tient dans ses griffes, et tu n’attendras pas longtemps de lui le châtiment de ta rébellion. » Et l’empoignant brutalement par les cheveux, elle la traînait après elle, sans que Psyché fit la moindre résistance. Sitôt qu’elle se la vit amenée et livrée, Vénus pousse un large éclat de rire, comme font les gens furieusement en colère. Puis, secouant la tête et se grattant l’oreille droite : « Enfin », dit-elle, « tu as daigné venir saluer ta belle-mère ? Ou voulais-tu plutôt rendre visite à ton mari, à qui tu as fait une blessure qui met ses jours en danger ? Mais sois tranquille, je vais te recevoir comme il se doit à l’égard d’une bonne bru. – Où sont », continua-t-elle, « Inquiétude et Tristesse, mes servantes ? » Et sitôt introduites, elle leur remit Psyché pour la torturer. Les deux servantes obéissent aux ordres de leur maîtresse ; après avoir cruellement fouetté la pauvre enfant et lui avoir infligé tous les tourments imaginables, elles la présentent derechef aux yeux de leur souveraine. Alors Vénus, avec un nouvel éclat de rire : « Voyez », dit-elle ; « pour m’apitoyer, elle compte sur la séduction de ce ventre bien arrondi, dont le fruit glorieux doit faire de moi apparemment une heureuse grand’mère. Heureuse, en vérité ! Dans la fleur de mon âge on me traitera d’aïeule, et le fils d’une vile esclave passera pour le petit-fils de Vénus ! Mais je suis sotte : un fils ? non : les conjoints sont de condition inégale ; de plus, un mariage contracté à la campagne, sans témoins, sans le consentement du père, ne saurait passer pour légitime. Il naîtra donc bâtard, à supposer d’ailleurs que nous te laissions porter ce rejeton jusqu’à terme. »

Elle dit et fond sur elle, met ses vêtements en pièce, lui arrache les cheveux, lui heurte et lui meurtrit cruellement la tête. Après quoi, elle se fait apporter des grains de blé, d’orge, de millet, de pavot, de pois chiche, de lentille et de fève, les mêle à pleines poignées et les confond en un seul tas ; puis, s’adressant à Psyché : « Laide comme tu l’es », dit-elle, « j’imagine qu’une esclave n’a d’autre moyen, pour gagner les bonnes grâces de ses amants, que son dévouement à son service. Eh bien ! je veux, moi aussi, éprouver à quoi tu es bonne. Démêle-moi l’amas confus des semences que voici ; sépare les grains un à un et les trie avec ordre : il faut qu’avant ce soir tu aies expédié cet ouvrage et le soumettes à mon approbation. »

Après lui avoir assigné de la sorte ce monceau de graines de toute espèce, Vénus s’en fut à un repas de noces. Quant à Psyché, elle n’étend même pas la main vers cette masse informe et inextricable : atterrée par cet ordre inhumain, elle demeure figée dans une stupeur muette. Alors la fourmi, l’humble bestiole habitante des campagnes, mesurant la difficulté d’une pareille tâche, prit en pitié la compagne du grand dieu et maudit la cruauté de sa belle-mère. Active, elle court de-ci de-là, convoque et rassemble toute l’armée des fourmis ses voisines : « Pitié, filles agiles de la terre mère de toutes choses, pitié pour une aimable enfant, l’épouse de l’Amour ; elle se trouve en péril : vite, accourez à son aide. » Vague sur vague, c’est une ruée de la gent à six pattes ; et chacune rivalisant d’ardeur, elles démêlent tout le tas grain à grain, séparent, répartissent et groupent par espèces, puis se hâtent de disparaître.

Au commencement de la nuit, Vénus revient de son repas de noces, humectée de vin, exhalant l’odeur des parfums et toute chargée de guirlandes de roses aux scintillantes couleurs. Quand elle voit la diligence apportée à ce prodigieux travail : « Ce n’est pas toi, vaurienne », dit-elle, « ce ne sont pas tes mains qui ont fait cet ouvrage, c’est celui à qui tu as plu pour ton malheur, pour ton malheur et pour le sien. » Et lui jetant un morceau de pain grossier, elle va se coucher.

Cependant, Cupidon, seul au fond de la maison et gardé prisonnier dans une chambre isolée, était cloîtré sévèrement, tant pour éviter que sa pétulante ardeur n’aggravât sa blessure que pour l’empêcher de rejoindre l’objet de ses désirs. C’est ainsi qu’éloignés l’un de l’autre et séparés sous un même toit, les deux amants passèrent une bien triste nuit.

Mais sitôt que l’Aurore fut remontée sur son char, Vénus appela Psyché et lui dit : « Vois-tu ce bois qui, près du fleuve qui le baigne, s’étend tout au long de la rive, et dont les derniers arbustes dominent la source proche ? Des brebis, dont la toison brille de l’éclat naturel de l’or, y paissent sans gardien, errant à l’aventure. De cette toison précieuse procure-toi sur l’heure et n’importe comment un flocon de laine que tu m’apporteras : voilà ma volonté. »

Psyché se mit en route sans protester, non pas, à vrai dire, dans l’intention d’exécuter l’ordre reçu, mais pour trouver le repos de ses maux en se précipitant d’un rocher de la rive. Mais du sein même du fleuve un vert roseau, source de sons mélodieux, par une inspiration divine, fait entendre, en un doux murmure de la brise légère, cet avis prophétique : « Assaillie par tant d’épreuves, Psyché, ne souille pas par une mort misérable la sainteté de mes ondes, mais ne tente pas davantage d’approcher à cette heure les redoutables brebis. Car lorsque le soleil brûlant leur communique sa chaleur, une rage farouche les emporte ; alors, de leurs cornes acérées, de leur front de pierre et parfois de leurs morsures empoisonnées, elles s’attaquent aux humains pour les faire périr. Mais une fois amortie l’ardeur du soleil de midi, le troupeau se repose dans la sérénité des haleines du fleuve. D’ici là, sous ce haut platane qui s’abreuve au même cours d’eau que moi, tu pourras te dissimuler. Dès que les brebis, leur fureur apaisée, seront plus tranquilles, bats les ramures du bois voisin : tu trouveras de cette laine d’or, qui reste accrochée çà et là dans l’enchevêtrement des branches. »

C’est ainsi que le roseau, dans sa candeur et son humanité, enseignait à Psyché accablée comment assurer son salut. Psyché ne commit pas la faute de prêter à ces instructions précises une oreille distraite ; elle eut soin au contraire de les suivre point par point, et dérobe facilement, de la molle toison d’or fauve, de quoi en remplir sa robe et le rapporter à Vénus. Mais le succès de cette seconde épreuve ne fut pas mieux reconnu de sa maîtresse. En fronçant le sourcil et avec un sourire amer : « Je ne m’y trompe pas », dit Vénus, « et discerne l’auteur de cette nouvelle supercherie. Mais cette fois je saurai m’assurer si vraiment ton âme est vaillante et ta prudence sans égale. Vois-tu, dominant un très haut rocher, la cime de cette montagne escarpée ? Là se trouve une source sombre : celle des ondes noires qui, recueillies dans un bassin au creux de la vallée voisine, se déversent dans les marais du Styx et alimentent les rauques courants du Cocyte. Je veux qu’au sommet même où la source jaillit des entrailles de la terre, tu puises de son onde glacée, et sans retard m’en rapportes la petite urne que voici. » Ce disant, elle lui remit un flacon de cristal taillé, avec, en plus, de terribles menaces.

Psyché s’empresse et, hâtant le pas, se dirige vers le sommet de la montagne, pour y trouver au moins le terme d’une vie lamentable. Mais à peine parvenue aux lieux avoisinants la crête désignée, elle voit l’immensité de l’entreprise et ses difficultés mortelles. Car c’était un rocher démesurément haut, rugueux, glissant, inaccessible. Des entrailles même de la pierre, il vomissait des eaux repoussantes qui, à peine échappées des cavités aux ouvertures inclinées, dévalaient le long de la pente, se frayaient un chemin par un étroit canal où elles se perdaient, et tombaient inaperçues dans la vallée voisine. A droite aussi et à gauche, du creux des rochers émergent en rampant et allongeant le cou des dragons sanguinaires, dont les yeux, astreints à veiller, ne se ferment jamais, dont les prunelles font le guet, perpétuellement ouvertes à la lumière. D’ailleurs, les eaux, douées de voix, se défendaient elles-mêmes. « Éloigne-toi.- Que fais-tu ? Ouvre l’œil. – A quoi penses-tu ? Gare ! Fuis. – Tu vas te tuer », lui criaient-elles sans cesse. Pétrifiée alors devant une impossibilité manifeste, Psyché, bien que physiquement présente, perdit toute conscience, absolument écrasée par le poids d’un péril inextricable ; il ne lui restait même pas la suprême consolation des larmes. Mais les peines d’une âme innocente n’échappèrent pas à l’œil attentif d’une providence charitable. Car soudain voici paraître, les ailes déployées, l’oiseau royal de Jupiter souverain, l’aigle ravisseur. Se souvenant que jadis, ministre complaisant, il avait, sous la conduite de Cupidon, enlevé pour Jupiter l’échanson phrygien, il voulait, par une aide opportune, honorer la puissance du dieu dans les épreuves de son épouse. Il abandonne donc les radieux chemins de la voûte céleste, et s’en venant voler sous les yeux de la jeune femme, il lui adresse la parole : « Quoi ? simple comme tu l’es, et sans expérience de ces choses, tu espères, de cette source non moins terrible que sacrée, pouvoir dérober fût-ce une goutte, ou seulement l’atteindre ? Les dieux même, sans en excepter Jupiter – ne l’as-tu pas au moins entendu dire ? – redoutent les ondes stygiennes, et les serments que vous faites par la puissance des dieux, les dieux ont coutume de les faire par la majesté du Styx. Mais donne-moi cette urne. » Il la saisit, l’entoure de ses serres et, faisant diligence, il balance la masse oscillante de ses ailes, étend ses rémiges à droite et à gauche, passe entre les dragons, leurs mâchoires aux dents cruelles, leurs langues où vibre un triple dard. Les eaux se refusent et l’avertissent avec menaces de se retirer sans dommage : il répond qu’il vient là par ordre de Vénus, qu’il est à son service, et cette invention lui ménage un accès un peu plus facile.

Ainsi Psyché reçut avec joie la petite urne pleine et se hâta de la rapporter à Vénus. Mais même alors elle ne put trouver grâce auprès de l’implacable déesse. Celle-ci, tout en la menaçant de châtiments plus cruels et plus humiliants, l’apostrophe en ces termes avec un sourire infernal : « Tu m’as l’air d’être une grande magicienne, et profondément experte en maléfices, pour avoir si promptement obéi à des ordres tels que les miens. Mais voici encore, ma mignonne, un service à me rendre. Prends cette cassette », fit-elle en la lui donnant, « et rends-toi de ce pas jusque dans les enfers et les sombres pénates d’Orcus. Là tu présenteras la cassette à Proserpine et tu lui diras : « Vénus te prie de lui envoyer un peu de ta beauté, ne serait-ce que la ration d’une seule petite journée. Car ce qu’elle en avait, elle l’a dépensé et complètement usé à soigner son fils malade. » Mais ne rentre pas trop tard : il faut que je m’en frotte avant d’aller pour une séance au théâtre des dieux. »

Mieux que jamais Psyché sentit que son destin touchait à son terme et comprit avec évidence qu’on la jetait ouvertement, et sans plus rien voiler, dans une mort toute prête. Car quoi ? ne la forçait-on pas à se rendre elle-même et sur ses propres pieds dans le Tartare et chez les Mânes ? Et sans plus hésiter, elle se dirige vers une haute tour, pour de là se précipiter : ce serait, pensait-elle, pour descendre aux enfers, la route la plus directe et la plus aisée. Mais la tour se mit soudain à parler : « Pourquoi », dit-elle, « malheureuse enfant, chercher à te détruire en te jetant dans le vide ? Pourquoi, dans cette dernière épreuve et ce dernier travail, t’abandonner sans raison ? Quand une fois ton esprit sera séparé de ton corps, tu iras bien sans doute au fond du Tartare, mais tu n’en pourras revenir en aucune façon. Écoute-moi :

Lacédémone, cité illustre d’Achaïe, est située non loin d’ici. Sur ses confins, le Ténare se dérobe en des lieux écartés. Découvre cet endroit. Là s’ouvre un soupirail de la demeure de Dis. Par la porte béante se laisse apercevoir un chemin malaisé. Sitôt que, franchissant le seuil, tu t’y seras engagée, tu n’auras qu’à suivre ce couloir pour parvenir tout droit au palais même d’Orcus. Mais ne va pas au moins t’avancer ainsi les mains vides à travers ces ténèbres ; tiens dans chacune d’elles un gâteau de farine d’orge pétri avec du vin additionné de miel, et dans ta bouche porte deux pièces de monnaie. Quand tu auras derrière toi une bonne partie de la route qui conduit chez les morts, tu rencontreras un âne boiteux porteur de fagots, avec un ânier semblable à lui. Celui-ci te demandera de lui tendre quelques brins tombés de sa charge : mais toi, ne profère aucun son et passe sans mot dire. Bientôt tu parviendras au fleuve de la mort, auquel est préposé Charon. Celui-ci exige d’abord qu’on acquitte le droit de passage ; c’est à cette condition que, dans sa barque de cuir cousu, il transporte les voyageurs sur la rive opposée. Ainsi même chez les morts vit l’avarice, et un dieu comme Charon, le percepteur de Dis, ne fait rien pour rien : le pauvre, quand il meurt, doit se munir du prix de son voyage, et s’il lui advient de n’avoir pas de monnaie sous la main, nul ne lui permettra de rendre le dernier soupir. A ce hideux vieillard tu donneras à titre de péage l’une des pièces que tu porteras, mais de manière qu’il la prenne de sa propre main dans ta bouche. Ce n’est pas tout. Pendant que tu traverseras ces eaux stagnantes, un vieillard mort, nageant à la surface, lèvera vers toi ses mains putréfiées et te priera de le tirer à toi dans la barque : mais toi, ne te laisse pas attendrir par une pitié qui t’est interdite.

Quand tu auras franchi le fleuve et progressé un peu, de vieilles femmes, tissant la toile, te demanderont de leur donner un coup de main : ne touche pas à cet ouvrage, tu n’en as pas le droit. Car ce seront là, parmi beaucoup d’autres, des pièges suscités par Vénus, pour te faire lâcher au moins l’un des gâteaux. Et ne dis pas : une méchante galette d’orge ? le dommage est léger. Si tu en perds une, c’est fait pour toi de la lumière du jour. Car un chien gigantesque aux trois têtes énormes, monstrueux et formidable animal, lançant du fond de sa gueule, comme un tonnerre, contre les morts auxquels il ne peut plus faire aucun mal, des aboiements qui les remplissent d’une vaine terreur, se tient en permanence sur le seuil même du sombre atrium de Proserpine et garde en sentinelle vigilante la demeure déserte de Dis. Jette-lui comme proie l’un des gâteaux : il sera maîtrisé, et passant outre sans difficulté, tu pénétreras tout droit chez Proserpine elle-même. Elle te recevra gracieusement et avec bonté, t’invitera à t’asseoir sur un siège moelleux et à prendre un copieux repas. Mais toi, assieds-toi à terre, demande un pain grossier ; quand tu l’auras mangé, fais connaître ce qui t’amène et prends ce qui te sera présenté. Au retour, tu te rachèteras de la fureur du chien au moyen du gâteau qui te restera ; tu donneras ensuite à l’avare nocher la pièce de monnaie que tu auras réservée et, son fleuve une fois traversé, tu fouleras à nouveau la trace de tes premiers pas et reverra enfin notre ciel avec le chœur des astres. Mais de toutes mes recommandations, la plus importante, la voici : n’essaie ni d’ouvrir la boîte que tu porteras, ni d’en examiner l’intérieur ; garde-toi, en un mot, de tout mouvement de curiosité à l’égard du trésor de divine beauté qu’elle recèlera. »

C’est ainsi que la tour qui voit loin s’acquitta de sa prophétie. Sans tarder, Psyché se rend au Ténare. Dûment munie des pièces de monnaie ainsi que des gâteaux, elle descend rapidement le couloir infernal. Elle dépasse sans mot dire l’ânier infirme, donne au passeur une pièce en péage, reste insensible à la requête du mort flottant à la surface, dédaigne les prières insidieuses des tissandières, endort, en lui jetant un gâteau à manger, la rage effroyable du chien et pénètre enfin dans la demeure de Proserpine. Sans accepter ni le siège moelleux ni les mets raffinés que lui offre son hôtesse, elle s’assied à ses pieds sur le sol et, satisfaite d’un pain grossier, elle expose la mission dont l’a chargée Vénus. On remplit en secret, on ferme la cassette et Psyché la reçoit. A l’aide du second gâteau, elle donne le change au chien et muselle la bête aboyante, remet en paiement au passeur la pièce de monnaie qui lui reste et, d’un pas bien plus alerte, elle ressort des enfers. Mais après qu’elle a, en la retrouvant, adoré la blanche lumière de ce monde, et malgré la hâte qu’elle a d’arriver au bout de sa tâche, une curiosité téméraire s’empare de son esprit. « Eh quoi ! », dit-elle, « suis-je assez sotte de porter la beauté divine sans en prélever même une parcelle pour moi et plaire ainsi, qui sait ? à mon bel amant. » Et, tout en parlant, elle ouvre la boîte. Mais dans la boîte, rien du tout ; de beauté, pas la moindre trace ; rien qu’un sommeil infernal, un vrai sommeil de Styx, qui, sitôt que le laisse apparaître le couvercle, l’envahit, répand sur tous ses membres une épaisse vapeur léthargique, et l’étend, saisie, sur le chemin, à la place même où elle posait le pied. La voilà gisante, immobile : bref, un cadavre endormi.

Mais Cupidon, qui, sa blessure cicatrisée, revenait à la santé, et qui ne pouvait endurer la longue absence de sa Psyché, s’était échappé par la très haute fenêtre de la chambre où il était enfermé. Ses ailes s’étaient reformées durant ce temps de repos : d’un vol plus rapide que jamais, il rejoint sa Psyché, balaye avec soin le sommeil, et l’enferme de nouveau dans la boîte à la place qu’il occupait ; puis, réveillant Psyché par l’inoffensive petite piqûre d’une de ses flèches : « Tu étais victime une fois de plus », lui dit-il, « malheureuse enfant, de la curiosité qui t’a déjà perdue. Cependant, va, achève de t’acquitter de la mission dont t’a chargée ma mère. Le reste me regarde, moi. » A ces mots, l’amant léger prend son vol, et Psyché s’empresse de rapporter à Vénus le présent de Proserpine.

Cependant, Cupidon, dévoré d’un amour sans mesure et la mine dolente, redoutant au surplus la soudaine austérité de sa mère, revient à ses prouesses d’antan. D’un vol rapide il pénètre jusqu’au haut du ciel, présente sa supplique au grand Jupiter et plaide sa cause auprès de lui. Jupiter, alors, le prenant par la joue et, de la main, l’attirant jusqu’à ses lèvres pour lui donner un baiser, lui dit : « Jamais, mon garçon, tu ne m’as rendu l’honneur auquel j’ai droit du consentement des dieux, et ce cœur où s’ordonnent les lois des éléments et les mouvements des astres, tu le blesse continuellement de tes coups, tu lui infliges sans répit la honte de faiblesses et d’aventures terrestres ; au mépris des lois, de la loi Julia elle-même et de la morale publique, tu compromets dans de bas adultères mon honneur et ma réputation, en donnant à mes traits augustes la forme avilissante d’un serpent, d’un feu, d’une bête sauvage, d’un oiseau, de quelque bétail. N’importe : je me souviendrai que je suis débonnaire et que tu as grandi entre mes mains : je ferai tout ce que tu demandes. A condition, toutefois, que, connaissant ton devoir, tu aies l’œil ouvert sur ceux qui voudraient t’imiter, et que, s’il existe actuellement sur la terre une beauté sans pareille, tu me l’offres en récompense de mon bienfait présent. »

Il dit et ordonne à Mercure de convoquer aussitôt tous les dieux en assemblée, en proclamant que qui manquera au rendez-vous céleste encourra une amende de dix mille sesterces. Cette menace eut vite fait de remplir le théâtre du ciel ; et Jupiter, dominant les autres du haut de son trône élevé, s’exprima en ces termes :

« Dieux conscrits dont les noms sont portés sur le registre des Muses, voici un garçon que j’ai élevé de mes mains, comme sans doute vous le savez tous. J’ai jugé qu’il fallait mettre un frein aux ardeurs impétueuses de sa première jeunesse. C’est assez qu’il ait fait parler de lui par le scandale quotidien de ses adultères et fredaines de tout genre. Otons-lui toute occasion, et maîtrisons ce dévergondage d’adolescent en l’enchaînant dans les liens du mariage. Il a fait le choix d’une jeune fille ; il l’a privée de sa virginité : qu’il la garde, qu’il l’ait pour sienne et, qu’uni à Psyché, il jouisse à jamais de l’objet de son amour. » Puis, tournant son visage vers Vénus : « Et toi, ma fille, ne t’attriste pas, et que cette alliance avec une mortelle ne t’inspire aucune crainte pour la condition de ton illustre maison. Je vais faire que cette union ne soit plus une mésalliance, mais un mariage légitime et conforme au droit civil. » Aussitôt il ordonne que Mercure aille enlever Psyché et la conduise au ciel. Et lui tendant une coupe d’ambroisie : « Prends, Psyché », lui dit-il, « et sois immortelle. Jamais Cupidon ne se dégagera des liens qui l’attachent à toi ; c’est pour toujours que vous êtes unis par le mariage. »

A l’instant est servi un abondant repas de noces. Sur le lit d’honneur était couché le marié, qui tenait Psyché dans ses bras ; puis Jupiter avec sa Junon, et tous les dieux, chacun à son rang. La coupe de nectar, qui est le vin des dieux, était présenté à Jupiter par le jeune pâtre son échanson ; Liber servait les autres, Vulcain faisait la cuisine, les Heures empourpraient tout de roses et d’autres fleurs, les Grâces répandaient des parfums, les Muses faisaient entendre leurs voix harmonieuses. Puis Apollon chanta en s’accompagnant sur la cithare, et Vénus, ajustant ses pas à cette douce musique, dansa gracieusement, après s’être composé un orchestre où les Muses exécutaient un chœur, tandis qu’un Satyre jouait de la flûte et qu’un Panisque enflait son chalumeau. C’est ainsi que Psyché passa selon les rites sous la puissance de Cupidon. Et quand le terme fut arrivé, il leur naquit une fille, que nous nommons Volupté. »

credits:Alain Lassine

la belle et la bête patrick sobral


Le titre laisse à penser qu'il s'agit d'une adaptation du conte de fées du même nom. Mais, à voir une belle farouche munie d'une épée, on devine qu'il s'agit d'une version très sombre destinée aux adolescents et adultes. De plus la Bête a un aspect inhabituel ; il est à la fois fait de pierre et de plantes. Le fait qu'il s'agisse du dérivé d'un conte et que l'auteur soit connu pour avoir fait une série jeunesse, peut attirer les enfants et repousser leur aînés. Or paradoxalement c'est l'inverse qui est souhaité. En outre, le conte ne garde guère que la bête, la rose (dont l'importance anecdotique devient ici capitale), la belle, et son père ; des personnages originaux. D'autres disparaissent comme les frères et sœurs de l'héroïne (c'était déjà le cas chez Disney) et certains font leur apparition comme les quatre gardiens de la Bête (prénommées comme les quatre points cardinaux en anglais), le mage du prologue ou la sorcière de la ville. Et le trame principale a changé presque intégralement, tout comme le contexte, la psychologie du personnages, et surtout la fin. Le conte est vidé de sa substance : ici, nullement question de conclure que la vraie beauté vient de l'intérieur.

Le récit a lieu dans un monde désertique, aux récoltes inexistantes. En dernier recours, les habitants du lieu demandent à un mage (Gadimos) de rendre la région fertile. Ce dernier réclame un paiement qu'on ne sait comment honorer quand une fillette (la belle, encore petite, et prénommée Bellyana) donne en toute innocence une rose blanche en pot en pensant qu'elle suffira, car c'est pour elle la chose la plus importante au monde. Et cela suffit en effet car Gadimos touché par le geste accepte en échange de se mettre au travail et promet un artefact qui ramènera la fertilité au bout d'une semaine.

Ne voyant rien venir après une semaine, les paysans approchent du château du mage et voient surgir un être mi-minéral mi-végétal (la Bête) qui leur interdit le passage. Décidant de recourir à la force, les villageois réclament l'aide d'une armée de chevaliers. Mais pareillement, ils ne reviendront jamais, et la Bête, accompagnée cette fois de gardiens, défend une fois de plus qu'on pénètre dans le château.

Les villageois ne renoncent et recourent à la ruse. Dix ans plus tard, la bête et les gardiens repoussent à nouveau une intrusion de paysans sur leur terre. Mais ceux ci affirment qu'ils en ont après une jeune femme accusée de vol, poursuivie jusqu'ici, et acceptent de se retirer. La soi disant voleuse supplie la bête de la garder avec lui, affirmant qu'elle risque la mort si elle repart. Sa proposition n'est acceptée qu'après que la bête a semblé répondre à un ordre télépathique. Cette femme se prénomme Bellyana, et on le comprend, est à la fois la belle et l'enfant du prologue.

Un double jeu de dupes commence. D'un côté, Bellyana qui est l'instrument principal de la ruse mise au point pour reprendre l'artefact. Elle doit également tuer la bête, et pour réussir tout cela, a été formée à la magie noire ces dix dernières années. En conséquence elle a vendu son âme au diable. Mais la bête, contrairement à ce qu'elle croit, sait pertinemment la vraie raison de sa présence. Cependant, il fait comme si de rien était : lui et ses gardiens souhaitent retrouver une apparence antérieure, ce que la présence de Bellyana permettrait apparemment de réaliser.

Après ses recherches, Bellyana finit par découvrir une pièce secrète, contenant une sorte de cocon surmonté de la rose blanche qu'elle avait donnée étant petite. Elle réalise qu'il s'agit de l'artefact, lui même. La bête qui a fini par s'attacher à elle, cependant, lui déconseille de tenter quoi que ce soit (et lui demande même de fuir). Refusant de faillir à la mission ayant demandé une décennie de préparation, Bellyana pénètre dans la salle.

Les gardiens l'encouragent à prendre la rose, et la bête la supplie de n'en rien faire ; il tue même ses gardiens. Cependant Bellyana le passe au fil de l'épée aussitôt après. Conséquence inattendue, un être humain s'extrait de l'enveloppe de la bête. Bellyana reconnait Gaël-ran, chef des chevaliers envoyés tuer la bête quelques années plus tôt (elle se souvient de lui car il lui avait confié son pendentif). Il explique que le mage Gadimos avait bien tenté de faire de la rose un artefact, mais qu'il en a aussi fait un être vivant et pensant à part entière, qui avait métamorphosé Gadimos en bête, attaché à son service et chargé d'interdire l'entrée au château. C'est sous cet aspect méconnaissable que le mage vint professer la première interdiction, et c'est "Gadimos-bête" que les chevaliers ont tué.

La Rose, ayant perdu son gardien, transforma aussitôt Gaël-ran en Bête, et ses quatre compagnons survivants en gardiens, pour les forcer à reprendre la tâche. Ils ne pourraient recouvrer leur aspect que le jour ou la Rose déciderait de léguer leur rôle à un autre. Cet autre, au bout de dix ans, fut Bellyana (elle avait reconnu à distance la première personne à s'occuper d'elle). Mais, au fil du temps, "Gaël-bête" eut des remords et c'est pourquoi il a fini par tenter de protéger Bellyana d'un si funeste destin.

Trop tard : le cocon s'ouvre, et la Rose émerge, sous l'aspect d'une petite fille avec la rose originelle sur la tête.Elle tue brutalement Gaël-ran pour prix de sa trahison. Le geste fait entrer Bellyana dans une immense rage, et elle jure d'envoyer la Rose "en enfer même si cela signifie t'y accompagner". Une ellipse étrange a lieu alors qu'elles se jettent l'une sur l'autre.

On rejoint directement les villageois qui attendent Bellyana à l'extérieur. Mais, surprise, c'est à nouveau la bête qui se présente, et réitère l'interdiction d'approcher le château et de tenter de prendre l'artefact ; sinon, il massacrera le village. Il annonce aussi la mort de Bellyana. Les paysans se retirent, choqués par cette nouvelle. Mais, on a réalité encore rien vu : la dernière page commente que la communauté et le père de l'héroïne pleurèrent sa disparition, mais que les larmes les plus amères furent versées par... Bellyana, elle même. On remarque sur la dernière image que la bête a cette fois un aspect femelle, annonçant par là qu'il s'agit de Bellyana métamorphosée... qui a perdu son combat, en dépit de sa détermination apparente (elle n'a pas tué la Rose, qui l'a de plus transformée
).